La campagne 100 000 logements s’inscrit dans le cadre de la stratégie de l’ONG Community Solutions (CS) pour mettre un terme au sans-abrisme aux États-Unis, en prônant et transférant la méthode Street to Home (« De la rue à un logement ») qui a été développée et qui a fait ses preuves à New York. Un réseau de plus de 100 organisations s’est engagé dans ce travail au niveau local et au niveau national, en plus des équipes de mise en œuvre dans 238 communautés participantes. La campagne a débuté en juillet 2010 et a terminé en juillet 2014.

 

Description du projet

Objectifs

La campagne vise à développer un mouvement populaire afin de loger de façon permanente 100 000 personnes sans domicile parmi les plus vulnérables pour 2014. L’objectif est de modifier la réponse des communautés au sans-abrisme et de passer des solutions d’urgence à des réponses à plus long terme.

Contexte

Environ 650 000 personnes sont chaque nuit sans domicile aux États-Unis, et entre 1,5 et 2 millions personnes passent par une période de sans-abrisme au cours d’une année. Pour la plupart, le sans-abrisme est de courte durée, mais pour environ 100 000 personnes, il s’agit d’un problème chronique. Ces personnes souffrent de besoins complexes qui prolongent leur sans-abrisme et qui les rendent dépendantes à des services publics coûteux qui n’engendrent pas de résultats à long terme. Les 17 pour cent qui sont chroniquement sans domicile s’accaparent plus de la moitié des ressources consacrées au sans-abrisme. Le sans-abrisme de longue durée affecte gravement la santé : l’espérance de vie moyenne d’une personne chroniquement sans domicile est de 25 années de moins que l’espérance de vie d’un Américain moyen. Par le passé, les communautés attribuaient souvent les logements selon l’ordre d’arrivée, au lieu de cibler les personnes qui étaient le plus dans le besoin.

Principales caractéristiques

La campagne utilise un processus innovant de développement d’un mouvement ainsi que des méthodes visant à engendrer deux changements importants au niveau de la communauté : un registre de toutes les personnes sans domicile et un plan de faire passer chaque mois 2,5 pour cent des sans-abri chroniques et vulnérables dans des logements permanents. Dans ce contexte, une communauté est un terme multidimensionnel défini localement, englobant une définition d’espace, mais également des organisations et des ressources. Cela implique le processus suivant :

  • CS recrute des communautés prioritaires dans le mouvement ; 190 communautés ont maintenant rejoint le mouvement et ce nombre n’a de cesse d’augmenter.
  • Une équipe a été bâtie, regroupant le plus de secteurs locaux possible. Des formations intensives de deux jours sont offertes pour se familiariser avec les outils de la campagne et les différentes ressources disponibles. En outre, des formations intensives spécifiques pour les anciens combattants, organisées par le Rapid Results Institute, ont été données dans 20 communautés pendant trois jours, en vue de reloger les anciens combattants plus rapidement.
  • Pendant une semaine, des centaines de volontaires parcourent les rues entre 4h et 6h pendant trois matinées consécutives pour enquêter sur chaque personne dormant dans la rue en utilisant l’Indice de Vulnérabilité, un outil développé par Community Solutions. Il en ressort un registre contenant les noms et photos de toutes les personnes sans domicile, classées par risque de mortalité prématurée. Ces informations permettent des négociations fondées sur des données avec les organismes de logement et d’accompagnement. Jusqu’à présent, plus de 100 communautés ont créé un registre de personnes sans domicile.
  • L’organisation répond aux besoins des personnes sans domicile par des options de logement, des aides en matière de santé et d’emploi, et une intervention intensive au moment critique (Critical Time Intervention) afin de leur permettre de garder leur indépendance dans leur propre logement. Les communautés participantes aux États-Unis ont développé des méthodes innovantes pour combiner le logement et les services, et pour découvrir des ressources qu’elles n’avaient jusqu’alors jamais exploitées. La campagne possède un réseau national de communautés et mentors aux vues similaires afin de trouver de nouvelles méthodes pour s’assurer des logements, des financements et différentes aides.
  • Chaque communauté reçoit un rapport mensuel de suivi qui compare ses progrès avec des normes standard.

La campagne dispose d’un directeur à temps plein basé à Washington D.C. qui établit le lien entre le travail de terrain et les hauts responsables et les organisations. Cette personne travaille en étroite collaboration avec différents services gouvernementaux et une vingtaine de partenaires stratégiques avec lesquels CS unit ses efforts pour permettre à des personnes sans domicile vulnérables d’intégrer des logements permanents.

Coûts

  • Le coût de la campagne est d’1,5 million de dollars par an, financé principalement par des fondations (12 en 2012) et des entreprises (KNO Clothing). En 2013, CS a reçu des fonds plus importants du gouvernement fédéral et d’un projet national de défense des anciens combattants, mais la plupart des coûts de la campagne sont toujours financés par des contributions philanthropiques. Aucun investissement de capitaux n’a été nécessaire pour lancer ou faire fonctionner la campagne.

Il n’y a actuellement aucun coût pour les communautés participantes. À la fin de la campagne, CS prévoit de poursuivre la plupart des services de consultance pour les communautés moyennant une contribution financière. Soixante pour cent des revenus en 2015 devraient provenir des frais de la transformation d’immeubles en logements pour personnes sans domicile, les dons et les subsides publics contribuant chacun à 20 pour cent des revenus.

Impact

À ce jour, plus de 44 000 sans-abri de longue durée et médicalement vulnérables ont été logés de façon permanente. Vingt-huit communautés atteignent actuellement leurs objectifs de placement mensuel de 2,5 pour cent, alors que ce nombre n’était que de 13 un an auparavant. La campagne prône des stratégies qui ont un taux de rétention de 85 pour cent ; une enquête a démontré en réalité un taux de rétention de 90 pour cent après un an de logement. Les frais hospitaliers ont été réduits de façon significative, de même que les retours en prison. Les niveaux de revenus et d’emploi ont également augmenté. Certains des outils innovants sont efficaces, comme les formations intensives du Rapid Results Institute qui ont permis à quatre communautés (sur 20) de doubler leur taux de placement. Neuf communautés ont réduit le temps nécessaire pour permettre aux anciens combattants d’accéder à un logement, dont certaines de 75 pour cent. Trois communautés ont amélioré leur ciblage des anciens combattants chroniquement sans domicile (par exemple de 26 à 93 pour cent à Atlanta). Ces formations intensives seront étendues à 40 communautés qui se concentrent sur d’autres personnes que les anciens combattants en 2013. Les équipes mentionnent en outre des changements positifs au niveau de l’état d’esprit, des comportements et de processus qui engendrent des résultats autres qu’un prolongement de l’espérance de vie, comme

  • Des niveaux sans précédent de collaboration entre les organismes et les organisations à but non lucratif actifs dans la communauté.
  • Différentes versions de « guichets uniques » pour des solutions de logement ont été mises en place pour rationaliser les attributions de logements.
  • Plus de personnes ont été impliquées dans les contacts directs avec les sans-abri, le nombre de personnes sur le terrain ayant augmenté.
  • Une plus grande conscience de la nécessité de se concentrer sur les sans-abri chroniques.
  • Un meilleur engagement de la mairie locale dans le processus et dans l’accompagnement résultant.

En outre, ce processus a permis un dialogue fondé sur des données entre les dirigeants nationaux et les travailleurs de terrain, collaborant pour trouver des solutions au sans-abrisme chronique sur base de ce qui fonctionne réellement au niveau local. Dans pas moins de 189 communautés, la réponse au sans-abrisme a évolué avec une attitude plus positive pour lutter contre des problèmes sociaux complexes. Certaines communautés se sont également penchées sur d’autres problèmes.

Par ailleurs, de nombreux changements politiques ont été réalisés grâce au projet, dont les plus importants sont :

  • Des dizaines d’organismes publics de logement ont créé des « préférences limitées locales » qui permettent aux sans-abri chroniques ou vulnérables de passer en tête des listes d’attente pour les logements.
  • Différents organismes publics ont créé un modèle de « guichet unique » grâce auquel les anciens combattants peuvent accéder à un logement permanent le jour même de leur inscription.
  • Des plans administratifs d’organismes locaux de logements publics ont été modifiés pour laisser la priorité aux sans-abri chroniques.
  • Des organismes locaux ont réduit la paperasserie administrative, créant une Application Unifiée entre les organismes.

 

Aspects innovants

  • Un objectif global qui contribue à mobiliser les groupes pour prendre des mesures et qui permet d’attirer l’attention et de trouver des aides. En outre, il permet de passer d’un système d’attribution de logements selon l’ordre d’arrivée à un système accordant la priorité aux sans-abri chroniques et médicalement vulnérables.
  • L’approche d’amélioration continue de la qualité utilise des données collectées à grande échelle pour orienter les services sociaux et le secteur du logement.
  • Un ensemble unique d’outils faciles à reproduire pour collecter et évaluer les données, contrôler les progrès et la qualité, et aider les communautés à améliorer leurs réponses au logement des personnes vulnérables, surmonter les obstacles et améliorer leurs systèmes d’attribution de logements.

 

Quel est l’impact sur l’environnement ?

  • La campagne ne prévoit pas de travail de construction en soi. Dans la plupart des cas, des bâtiments existants sont utilisés par les organisations participantes pour fournir des logements aux personnes sans domicile. La campagne respecte les principes environnementaux. Par exemple, les communautés sont formées sur l’utilisation efficace des ressources existantes. De plus, on leur enseigne que pour mettre un terme au sans-abrisme, il importe de coordonner les ressources et non de construire de nouveaux bâtiments.
  • Le passage des personnes de la rue vers des logements sûrs a des impacts positifs sur la santé publique.

Le projet est-il viable sur le plan financier ?

  • La campagne est financée par des sources publiques et privées. Elle élabore à présent des relations avec des partenaires au sein du gouvernement fédéral en vue d’établir un tarif pour un accord de services qui pourrait élargir ses activités. Lorsque la campagne se terminera, CS désire continuer à fournir des services d’amélioration et de gestion de données à un tarif peu élevé. La campagne propose déjà une série de solutions rentables qui pourraient être suggérées comme des alternatives au gouvernement.
  • La campagne estime que la meilleure façon de mettre un terme au sans-abrisme de façon définitive est de fournir un paquet intégré et individualisé englobant logement, services de santé et services en matière d’emploi.
  • Si nécessaire, les personnes sans domicile bénéficient d’une aide en matière d’emploi, qui permet d’augmenter les revenus et de trouver un emploi. Le fait de disposer d’une adresse permanente est important pour accéder au marché du travail.
  • Le logement est beaucoup plus accessible pour les sans-abri chroniques.
  • L’implication des communautés et d’une large gamme de partenaires a permis le développement de solutions innovantes et la mise en commun de ressources qui rend plus rentable la fourniture de logements aux personnes sans domicile.

Quel est son impact social ?

  • Il y a davantage d’engagement et de collaboration, tant au sein des communautés qu’entre celles-ci (avec par exemple plus de 7.000 bénévoles) et avec des organismes externes d’accompagnement sur la question du sans-abrisme. Les communautés sont en mesure d’appliquer les méthodes de résolution collective des problèmes utilisées pour lutter contre le sans-abrisme à d’autres problèmes sociétaux.
  • La campagne place l’accent sur le renforcement des capacités des communautés participantes, a développé plusieurs outils pour aider les communautés à lutter contre le sans-abrisme, tels que les formations intensives, des outils d’auto-évaluation et des boîtes à outils pour surmonter les obstacles, et fournit un accompagnement plus intensif aux communautés qui obtiennent de moins bons résultats. Par conséquent, les communautés ont obtenu de biens meilleurs résultats en termes de gestion des personnes sans domicile.
  • Le fait de déplacer les personnes de la rue, où leur santé et leur sécurité sont menacées, vers des logements stables a pratiquement toujours un impact positif. Plus de la moitié des adultes sans domicile souffrent de problèmes psychiques. Des données datant de 2011 estiment le coût annuel moyen d’un logement accompagné pour un adulte à 24 190 dollars, alors que le coût des services d’urgence pour les adultes souffrant de troubles psychiques est de 56 350 dollars. La Philadelphie dispose à présent d’un programme qui cible le soutien financier de Medicaid (programme fédéral de soins de santé) pour financer le logement des personnes sans domicile, et de plus en plus d’efforts sont consentis pour concrétiser cela au niveau national.
  • La campagne s’assure que les besoins des sans-abri chroniques et médicalement vulnérables sont prioritaires. Comme il s’agit des personnes sans domicile les plus marginalisées, et dès lors des personnes les plus marginalisées de la société, cela permet de réduire les inégalités sociales.
  • Des données indiquent que certaines personnes qui étaient auparavant sans domicile ont réussi à réduire ou supprimer leur dépendance à la drogue ou à l’alcool, trouver un travail, poursuivre leur scolarité ou autre, ce qui leur a permis d’être moins isolées et de jouer un rôle plus actif dans la société.

 

Obstacles

Une étude de performance des communautés réalisée en 2012 a défini les obstacles suivants :

  • Les législations locales, la culture et les coutumes locales, le climat, la politique et les sentiments d’appartenance à une race ou classe représentent généralement un ensemble d’obstacles dans chaque communauté. Ces différences compliquent les comparaisons et empêchent toute approche universelle pour réduire les obstacles. Il est nécessaire de développer des outils qui peuvent être adaptés dans le contexte unique de chaque communauté.
  • Si toutes les communautés peuvent fournir des exemples de « logement d’abord » (la pratique qui consiste à aider les sans-abri à passer directement de la rue à un logement, sans condition), aucune communauté n’a pour l’instant été en mesure d’adopter le logement d’abord en tant que norme uniforme. En outre, si la plupart des communautés ont été en mesure d’offrir des exemples de programmes qui utilisent une approche de réduction des risques (la pratique qui consiste à sevrer progressivement une personne de la drogue ou de l’alcool), aucune communauté ne peut utiliser cette approche de façon constante.
  • Si chaque communauté a été en mesure de développer des programmes très performants, seule une communauté a utilisé un vrai système uniforme de placement de sans-abri dans des logements.

 

Leçons retenues

Outre les points précités, on retiendra les leçons suivantes :

  • Les registres de vulnérabilité offrent aux communautés des données exploitables ainsi qu’une méthode pratique pour cibler leurs efforts.
  • Les données et les échanges réguliers aident les dirigeants à comprendre leurs systèmes et à élaborer des objectifs pour les améliorer.
  • Les communautés qui obtiennent les meilleurs résultats semblent disposer de « défenseurs », qui sont placés à un niveau suffisamment élevé pour jouer un rôle sur les systèmes ou programmes. Les communautés qui obtiennent de moins bons résultats ont également des défenseurs, mais moins puissants.
  • Il était essentiel de garantir que tous les acteurs clés qui participaient aux formations intensives participent également à la définition d’objectifs locaux et au développement d’un programme de travail. Des partenaires nationaux et régionaux étaient également indispensables pour clarifier les politiques et assurer un succès local.
  • La campagne vise à placer les sans-abri chroniques en tête des listes d’attente, les faisant ainsi passer devant les autres personnes sans domicile. Toutefois, le secteur du logement a évolué et ces personnes ont à présent accès à des services moins coûteux mais tout autant efficaces qui n’existaient pas auparavant, comme l’aide au relogement rapide.

 

Évaluation

  • La campagne fournit actuellement aux communautés participantes un rapport mensuel de suivi par rapport à l’objectif de réduction du sans-abrisme de 2,5 pour cent. Ce rapport établit également une comparaison entre la communauté en question et quatre communautés similaires.
  • Le Centre de services communautaires urbains est considéré comme un gage de qualité pour la campagne dans la mesure où il contrôle également les données. Il a par ailleurs réalisé une étude qualitative en 2012 de trois communautés très performantes et trois communautés peu performantes. Cette étude a défini 19 facteurs associés à la performance en matière de placement. Un outil d’auto-évaluation grâce auquel les communautés peuvent définir les manquements en matière de performance selon 19 indicateurs est actuellement testé et sera ensuite partagé avec les communautés participantes. Des boîtes à outils pour surmonter les obstacles ont également été développées pour aider les communautés à apporter des améliorations au niveau des 19 facteurs.
  • Des fonds ont été reçus pour une évaluation lors de l’année finale de la campagne (2014).

Transfert

La campagne est en soi un processus par paliers, étendant une approche qui a fait ses preuves à New York à l’ensemble des États-Unis voire au-delà. L’équipe de campagne tente d’accepter le plus d’invitations possibles pour visiter des organisations externes aux États-Unis et à l’étranger afin de discuter et de prôner la méthodologie de la campagne.

La campagne travaille à présent de façon régulière avec 190 coalitions locales venant des quatre coins des États-Unis.

L’approche a été discutée avec des dirigeants politiques et communautaires au Canada, en Australie, en Irlande et en Belgique. Dans ces deux premiers pays, cela a permis de développer des campagnes similaires ; un accompagnement a été fourni dans cinq villes ou régions. À Brisbane, les méthodologies de l’Indice de Vulnérabilité et des registres ont été appliquées au triage des victimes d’inondation afin de les reloger très rapidement. La reprise de l’approche en Irlande et en Belgique est imminente.